Afin de rassurer le consommateur, le texte concernant la mention obligatoire d’étiquetage des OGM, mis en place par Bruxelles, est entré en vigueur le 3 septembre 1998 (complétant le règlement CE n° 258-97).

Mais nous pouvons nous demander sous quelles conditions cet étiquetage est réalisé à la vue du nombre très important de points qui restent actuellement en suspend.

Les techniques de contrôles

A ce jour, il n’existe pas de méthodes normalisées de détection, aussi bien au niveau français qu’au niveau européen, mais deux techniques peuvent être mises en avant.

Technique sérologique ou immuno-enzymatique

Cette technique repose sur l’analyse de la protéine exprimée par le transgène. On utilise pour cela des techniques sérologiques (anticorps mono ou polyclonaux) ou immuno-enzymatiques qui permettent par des tests classiques de type Elisa de révéler la présence d’une protéine donnée.

La société Agrevo (filiale de Hoechst) a mis au point, il y a environ un an et demi, un kit adapté à la protéine issue du gène PAT de résistance à l’herbicide Basta.

Les points faibles :

  • Bien que cette méthode de test rapide reste séduisante, elle ne peut pas constituer une stratégie valable pour le contrôle sur toute la chaîne agroalimentaire. Les conditions de milieu, les traitements et les transformations que vont subir les matières premières dans le processus de fabrication de produits finis alimentaires auront des effets importants sur la structure de ces protéines. Les protéines spécifiquement recherchées peuvent être ainsi dénaturées ou détruites. Cette caractéristique a donc tendance à réduire considérablement le champ d ’application dans la chaîne agroalimentaire de cette technique aux produits agricoles bruts (fruits, légumes) ou obtenus par des transformations " douces ".
  • Il faut aussi remarquer que cette technique basée sur le contrôle des protéines ne peut pas rendre compte de la totalité de la plante impliquée dans le produit alimentaire. Prenons l’exemple du maïs Bt, qui n’exprime normalement la toxine que dans les parties vertes de la plante (plus particulièrement les feuilles). Si l'on doit détecter cet OGM sur un produit alimentaire contenant des grains de maïs (partie non verte), il y a de forte chance que la protéine spécifique ne soit pas présente et donc pas détectée. La détection est donc faussée.

Technique basée sur la PCR (Polymerase Chain Reaction)

La deuxième technique est une méthode de détection, voire d’identification par PCR, basée sur l’analyse de l’ADN.

Cette technique permet d’obtenir une détection sur l’ensemble du génome et est moins dépendante des conditions de traitement, car l’ADN est une molécule relativement stable et résistante à certains traitements thermiques et chimiques.

La méthode de la PCR peut à son tour se diviser en deux fonctions :

  • la première étant une méthode de détection,
  • la seconde correspondant à une identification.

1. Détection par PCR

Pour déceler la présence d’un ADN génétiquement modifié (détection) on a recours à des amorces non spécifiques mais présentes dans la plupart des constructions génétiques végétales (promoteur 35 S, terminateur NOS, séquence régulatrice, séquence de résistance à un antibiotique …).

Les points faibles :

  • Si la présence de ces fragments est détectée, la conclusion de l’analyse sera qu’il y a un ADN génétiquement modifié. Par contre, s’il n’y a pas de détection , il est impossible de conclure à l’absence de ce type d’ADN. Car l’OGM peut avoir été construit avec un autre promoteur et un autre terminateur.
  • Le risque de " faux positif " doit aussi être pris en compte. Il peut y avoir dans la nature d’autres ADN que ceux d’un OGM qui répondent à ces sondes . Avec le maïs, par exemple, des " faux positifs " peuvent éventuellement être présents par la contamination de celui ci par Bacillus thuringiensis.

2. Identification par PCR

La deuxième stratégie permettant d’identifier un ADN d’origine OGM nécessite cette fois-ci des amorces spécifiques (utilisation de banque de gènes et de logiciels spécifiques) à chacune des constitutions génétiques possibles et connues.

Les points faibles :

  • L’ADN est supposé résistant à certains traitements chimiques ou thermiques. Au mois de février 1997, l’INRA annonçait avoir mis au point une technique permettant, en moins de 48 heures, de détecter la présence d’OGM dans les produits alimentaires transformés, cependant, ce test reste encore hypothétique sur des produits transgéniques ayant subi un traitement de transformation drastique ou violent (exemple : purée de tomates). Car dans ce cas la probabilité de trouver de l’ADN transgénique est infime (destruction de l’ADN au cours du processus). Il en ressort néanmoins que cette technique a été validée au niveau européen sur des produits bruts ou de première transformation (grains, farine, semoule…) et sera normalisée, si tout suit un cours normal, dans les mois à venir. La méthode n’a cependant pas été validée pour les produits finis. C’est une des raisons pour lesquelles, pour le moment, les services officiels de contrôle ne peuvent que se montrer indulgent.
  • Un autre problème n’a pas été résolu, c’est la définition d’un seuil minimal de détection. Celui ci n’a pas encore été fixé par Bruxelles alors que la méthode de PCR est très sensible et que l’on pourrait déceler d’infimes traces d’OGM (10-3 à 10-5 selon la maîtrise des opérateurs). L’existence de seuils est nécessaire et sert à éviter la mention de la présence d’ingrédients ou de substance à l’état de trace. A titre de comparaison, une teneur de moins de 0.5 % en alcool, n’entraîne pas l’étiquetage de la mention " contient de l’alcool ". Il est donc important de s’interroger sur un taux de détection raisonnable et de plus il serait " absurde " de rechercher un taux plus faible que celui de 1% utilisé dans les échanges commerciaux pour garantir la pureté du produit.
  • A la suite de cela il restera encore à définir les modalités d’échantillonnage et de préparation des échantillons.

Au final, la méthode actuellement la plus adaptée au contrôle des OGM sur les produits alimentaires semble être la PCR mais encore faut-il savoir de quelles manières l’utiliser, celle ci pouvant se décliner de différentes façons.

Reste à accorder les pays européens sur un protocole d’investigation complet et à le standardiser. Car la technique de détection adoptée doit être applicable pour tous les contrôles et d’une manière générale dans le cadre du champ d’application des Directives 90/219/CE et 90/220/CE et utilisable aussi bien pour les graines que pour les ingrédients et les produits finis.

La traçabilité

Les lacunes du règlement sur l’étiquetage et les faiblesses des méthodes d’analyse limitent la liberté de choix des consommateurs. La mise en place de filières indépendantes de production peut être une réponse pour permettre au consommateur de faire un choix éclairé.

Définition

La traçabilité est donc une organisation qui permet de relier tous les stades de la filière agroalimentaire, de l’agriculteur au produit fini présenté aux consommateurs.

Elle doit retracer, dans la transparence :

  • l’origine du produit,
  • son historique,
  • ses composants.

La traçabilité doit en plus permettre de donner une réponse immédiate à toute question provenant du consommateur concernant un risque alimentaire réel ou fictif relatif au produit commercialisé.

Modalité de la traçabilité

La première étape, où l’on doit tracer les gènes introduits, correspondra à la sortie du laboratoire du semencier jusqu’à la commercialisation des semences génétiquement modifiées. En effet, il serait nécessaire d’identifier le ou les gènes introduits par attribution d’un numéro d’immatriculation. Cette codification doit suivre les grains tout au long de la chaîne : aussi bien au niveau des laboratoires de sélection, de la production au sein des usines et sur les sacs de semences.

Il sera aussi nécessaire d’évaluer la faisabilité de ce système pour les producteurs qui assurent leur mise en culture sans s’approvisionner sur le marché des matières premières.

La seconde étape concernera les producteurs de matières premières qui seront à même grâce à la codification (vue dans la première étape) de garantir la nature de leur culture.

Mais même en misant sur la discipline des producteurs, qui ont déjà l’habitude de séparer leur récoltes dans différents silos, la séparation des filières " avec " et " sans OGM " supposerait la mise en place de deux équipements entiers de collecte ; un pour les plantes " conventionnelles " un pour les plantes modifiées, sans quoi les risques de contamination croisée seraient possibles.

Une deuxième difficulté serait de savoir comment le producteur de culture " sans OGM " pourra-t-il assurer la non contamination de ses cultures si un champ voisin contient des OGM ?

Une solution serait une organisation efficace des cultures en éloignant le plus possible les champs contenant les même espèces végétales, évitant ainsi par la distance les pollinisations interespèces (distance de sécurité entre parcelles).

Un autre problème concernerait les végétaux pour lesquels nous sommes en grande partie liés à d’autres pays par l’importation. C’est l’exemple concret du soja importé des USA. La question qui se pose est : " Comment dans ce cas là peut-on avoir un pouvoir de pression assez grand pour obliger dans d’autres pays la séparation des filières ? ". Il est vrai que vis à vis des coûts induits, les pratiques de stockage et de transport outre atlantique par bateau empêchent toute séparation.

La dernière étape est la production industrielle qui implique la matière première dans un processus visant à aboutir à un produit fini commercialisable. C’est la fin de la chaîne agroalimentaire et tout ce qui concerne donc la séparation des filières en industrie est forcement lié à la traçabilité des matières premières. On pourrait retrouver ici un système de suivi par code barre.

Autrement dit, la création d’une filière d’agriculture labellisée "sans OGM", sur le modèle de la filière "agriculture biologique" se développera certainement. Mais elle ne sera pas facile à mettre en place d’autant plus que cette traçabilité rencontrera une complexité croissante au fur et à mesure que l’on avance dans la chaîne agroalimentaire. Il ne suffit alors pas d’intéresser les agriculteurs mais aussi les courtiers, les transporteurs et les transformateurs qui devront tous assurer l’origine, l’historique, la nature du produit et ainsi garantir sa non contamination.

C’est finalement l’installation d’une gigantesque filière "parallèle" qui serait nécessaire et impliquerait donc un contrôle et un suivi des matières premières de leur semence à leur transformation finale. Pour cela il faudrait :

  • des semences certifiées "sans OGM",
  • des champs séparés pour assurer la non pollinisation,
  • des moyens de récolte, de transport et de stockage spécifiques,
  • des industries ayant des lignes protégés et dédiées,

Tout cela avec une communication rigoureuse et un esprit de confiance.

Une solution serait peut être une production assez localisée c’est à dire que les récoltes de matières premières et leurs transformations devraient rester en territoire proche pour être bien suivi.

Cette séparation des filières apporterait bien sûr une forte augmentation des produits "sans OGM" en comparaison un peu avec "les produits bio".

Reste maintenant à savoir qui devra payer le surcoût (5 à 10 % selon les produits) de cette filière. Car il serait paradoxal que ceux qui souhaitent éviter les produits transgéniques soient condamnés à supporter des hausses de prix alors que, comme le soulignait la Conférence des Citoyens, les consommateurs français n’ont jamais été demandeurs d’OGM.

Choix entre une structure privée ou publique

La création d’une nouvelle unité de contrôle, semble dans le contexte actuel intéressant. Les associations de consommateurs veillent à ce que la législation soit appliquée bien que les OGM ne soient pas encore bien connus du grand public. La pression exercée par la presse éveille peu à peu le consommateur à ces nouveaux problèmes. Tout permet de dire que la loi va s’affiner dans les prochains mois et que le contrôle scientifique des OGM dans les aliments sera une étape incontournable pour tous les industriels concernés par la présence de maïs ou de soja. A l’heure actuelle, la détection des OGM n’est pas un automatisme des industries du fait des carences législatives, mais demain une fois le seuil de détection déterminé, les méthodes validées, les demandes seront croissantes car rendues obligatoires. Le problème qui se pose à cette étape est de définir la structure que nous allons choisir pour créer cette nouvelle activité de contrôle en prévention de la répression des fraudes.

  • Une structure privée dont l’activité serait exclusivement dédiée à la détection des OGM : cette structure serait entièrement à créer, l’investissement serait important et risque d’être lourde à mettre en place.
  • L’intégration d’une nouvelle activité de détection au sein d’un laboratoire de contrôle serait à explorer. La structure existerait déjà : statut juridique , l’investissement serait moins conséquent, et surtout une partie des analyses pourraient être demandées par les clients des analyses classiques (microbiologie et chimie). Le fichier client pourrait être exploité pour cette nouvelle activité.
  • Les laboratoires publics de recherche ont d’énormes moyens mis à leur disposition et l’insertion d’une nouvelle activité de contrôle qu’ils pourraient vendre à des industriels privés serait pour eux très lucrative. En effet les locaux sont déjà équipés d’un matériel performant. Seules quelques modifications seraient nécessaires au sein de ces structures afin d’être accréditées " laboratoire d’essais ". Les laboratoires de recherche n’étant pas soumis aux contraintes industrielles. L’investissement dans de telles structures serait mineur et certains laboratoires travaillent déjà pour le secteur privé. Cette double casquette recherche / laboratoire d’essais leur permet une certaine rentabilité et surtout d’être en relation étroite avec le secteur industriel. L’utilisation des compétences du secteur public au service du privé n’est pas une chose exceptionnelle : il y a 15 ans, se mettait en place une structure de laboratoire analytique avec une partie des fonds de l’université d’Aix-Marseille III. Cet institut a été créé de toutes pièces : locaux, matériel avec du personnel formé et compétent universitaire. Cette structure a été vendue au secteur privé 10 ans après et poursuit son chemin dans le privé et reste bien placé dans le domaine analytique.

Le développement de telles structures crée une concurrence déloyale envers les laboratoires privés qui doivent :

  • Investir un capital
  • Etre rentable (ils travaillent sans filet ), c’est leur seul moyen de survivre
  • Payer de lourds impôts.

De plus l’investissement de ces laboratoires a des limites bien inférieures aux limites des laboratoires publics. L’état aurait, certes un moyen de gagner de l’argent, mais au détriment de la faillite de petites entreprises. Si cette double activité des laboratoires publics se généralisait il faudrait redéfinir le rôle des laboratoires de recherches fondamentales et universitaires.


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Dernière mise à jour le 06 mars 1999 19:12:29