Les carences de la réglementation européenne

Vue du panel des citoyens

Deux français sur trois ne veulent pas de produits contenant des organismes génétiquement modifiés. Cependant, d'après un sondage AC Nielsen effectué durant l’été 98, 76% d’entre eux sont prêts à changer d’avis si on les rassure. Les informations devront provenir des autorités compétentes et non des distributeurs ou des fabricants.

Sous la pression de la presse et des associations de consommateurs, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), organisme commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, a décidé d’organiser pour la première fois en France une conférence publique dite de consensus, ou de citoyens, sur le problème de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés en agriculture et en alimentation.

Ce concept de conférence des citoyens n’est pas nouveau, il existe et fonctionne depuis déjà quelques années au Danemark, où il a été développé par le Teknologinädet (organisme similaire à l’OPECST). Plusieurs pays européens dont les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et la Suisse ont également expérimenté cette nouvelle forme de débat public.

Les bouleversements, que peuvent entraîner certaines innovations scientifiques ou techniques, sont tels que le débat traditionnel entre experts et décideurs n’est plus considéré comme suffisant par les populations concernées, qui souhaitent faire entendre leur voix.

Confrontés à une question scientifique ou technique qui risque de devenir un véritable enjeu politico-social, les responsables politiques demandent à un groupe de citoyens de base, totalement profanes en la matière, de donner un avis après avoir reçu une formation complète sur le sujet et s’être confrontés aux experts et représentants des divers intérêts en cause.

Les conférences des citoyens se distinguent des sondages d’opinion publique parce que le panel ainsi constitué ne peut en aucun cas être considéré comme représentatif de la population globale. Ces conférences ne peuvent résoudre le dilemme, mais peuvent toutefois servir à l’amorcer et à le lancer sur des bases saines.

Le rôle de la presse dans ce processus est déterminant car c’est par elle que seront relayées dans le grand public les discussions et les interrogations soulevées au cours de cette conférence.

Les conférences de citoyens et le débat public qui doit en principe s’instaurer ensuite doivent contribuer à faire prendre conscience aux responsables politiques de l’importance et de la complexité de certaines décisions qu’ils ont à prendre.

Les consommateurs ont pu s’exprimer lors de la conférence des citoyens sur l’utilisation des OGM dans l’alimentation (les 20 et 21 Juin 1998). Ils préconisent :

  • L’interdiction des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques comme outil de sélection lors de la phase de construction des plantes transgéniques.
  • La création de filières séparées avec des procédures visant à rechercher la traçabilité des produits par toutes les méthodes appropriées.
  • La nécessité d’aller au-delà des dispositions réglementaires au sujet de l’étiquetage.
  • Le développement des recherches liées aux risques écologiques avant de développer la diffusion des OGM dans une culture intensive.
  • Les OGM doivent apporter des qualités gustatives ou de conservation aux aliments.
  • La mise en place des solutions d’urgence en cas de propagation intempestives ou de nocivité émergente. Ces solutions doivent être techniques et juridiques, par un retrait rapide des autorisations de commercialisation et de mise en culture.
  • La définition des responsabilités en terme d’OGM, et étendre le délai de recours de la victime au-delà des 10 ans prévus actuellement en matière de droit commun.
  • La Demande d’une disposition législative instituant la traçabilité de l’ensemble des plantes et des produits transgéniques commercialisés en France sous quelques formes que se soit.

2. Vue du consommateur

Après les tergiversations des politiques, aujourd’hui, où en sommes nous, nous consommateurs ?

Une petite enquête a été réalisée par notre équipe au sein de trois enseignes : Carrefour saint Serge, Leclerc et Casino à Angers. Nous avons recherché les fameuses inscriptions " soja génétiquement modifié " et "maïs génétiquement modifié ", notre analyse ayant été guidée au départ par le magazine " QUE CHOISIR " de janvier 1999 où était établie une liste de produits normalement étiquetés.

Il s'est avéré que nous n’avons trouvé que très peu de produits portant la mention recherchée :

Pour Carrefour St Serge (Angers), trois produits seulement ont pu être dénichés :

  • Cannellonis Findus
  • Lait de soja calcium Gaylord Hauser
  • Barre de soja au chocolat Gaylord Hauser

Chez Leclerc Angers, un produit étiqueté "soja génétiquement modifié" a été trouvé, il s’agit du lait de soja Gaylord Hauser.

Enfin chez Casino Angers, des produits sous le nom de l’enseigne sont clairement étiquetés. Il est à noter que Casino est le seul distributeur chez lequel nous avons trouvé des produits à son nom étiquetés selon la dernière réglementation.

Que doit-on alors penser quant au respect de la réglementation ? Le consommateur est-il convenablement informé ? Le manque d’éléments de contrôle entraîne peut-être un laxisme volontaire de la part des industriels sur l’étiquetage. Qu’en est-il ?

Face à cette situation, le consommateur a besoin de comprendre la stratégie des enseignes chez qui il se sert et dont il est amené à acheter des produits sous sa marque.

Pour répondre à ces attentes, nous avons alors contacté certains de ces distributeurs afin de connaître leur politique sur les OGM. Ceux-ci se sentent concernés par le problème d’étiquetage des aliments susceptibles de contenir des OGM. Ainsi, dès l’entrée en vigueur de la loi sur l’étiquetage, la Fédération des entreprises de commerce et de la distribution (FCD) a demandé que des précisions supplémentaires soient apportées (seuil minimum au-dessous duquel l’étiquetage n’est pas obligatoire). Par la suite, c’est à chaque enseigne de définir sa stratégie.

A travers les différents contacts que nous avons eus, il émerge deux attitudes des distributeurs :

  • ceux qui prennent position sur les OGM comme Carrefour, farouche opposant à l’utilisation d’OGM dans la préparation de ses produits.
  • ceux qui ne tranchent pas officiellement sur le pour ou contre les OGM comme Leclerc ou Inter Marché et qui souhaitent avoir une relation de clarté avec les consommateurs en ce qui concerne l’étiquetage.

Stratégie de Carrefour :

Carrefour s’engage publiquement à bannir autant que faire se peut les OGM de ses produits considérant que le produit Carrefour " est un produit vrai qui porte les valeurs éthiques de l’enseigne ".

Carrefour demande aux PME avec lesquelles il travaille de ne pas utiliser de matières premières issues d’OGM ou d’ingrédients contenant des OGM. C’est aux PME de gérer la situation, soit :

  • en changeant de fournisseur, le nouveau fournisseur garantissant l’absence d’organismes génétiquement modifiés par des certificats et des analyses complémentaires,
  • en éliminant la matière première incriminée ce qui nécessite une révision de la recette et parfois de processus de fabrication. Par exemple la Biscuiterie Bouvard qui travaille avec Carrefour a dû changer certaines de ses recettes dans lesquelles était incorporé de l’amidon de maïs transgénique.

Parallèlement Carrefour travaille à construire des filières sans OGM notamment au Brésil où des usines seraient dédiées tout au long du trajet de la matière première jusqu’à sa transformation.

Stratégie de Leclerc :

La politique des magasins Leclerc, c’est tout d’abord laisser le choix aux consommateurs et les informer via un étiquetage clair des produits sous ses propres marques (cf. photo ci-dessous - Germes de Soja "Marque Repère", marque distributeur Leclerc).

A l’heure actuelle, peu de produits sont encore étiquetés " contenant des organismes génétiquement modifiés " car la mise en place d’un système de vérification et de contrôle des produits finis et des matières premières est longue.

Bien que ne voulant pas prendre position face aux OGM, Leclerc essaie parallèlement de contourner le problème de l’étiquetage et par-là les problèmes de garantie de la présence ou non d’OGM dans leurs produits par une stratégie de renouvellement des recettes tout comme Carrefour.

Etiquette "non génétiquement modifié"
mention "non génétiquement modifiés"
sur les germes de soja vendus sous la marque distributeur Leclerc.

Pour les produits contenant malgré tout des OGM, les services qualité mettent en place un suivi des matières premières. Des certificat informant ou non de la présence d’organismes génétiquement modifiés sont délivrés par leurs fournisseurs à la suite desquels des analyses complémentaires de détection des OGM sont réalisées afin de confirmer ou d’infirmer la validité de ces certificats.

Stratégie d’Inter Marché :

Inter Marché a adopté la même stratégie que Leclerc à savoir laisser le libre arbitre au consommateur et de l’informer par des plaquettes en cours d’élaboration par le service marketing associé au service qualité expliquant ce que sont les organismes génétiquement modifiés. Là encore le service qualité s’attache à mettre œuvre un système de traçabilité de ses produits et des matières premières.

Même si l’on vient de voir qu’il y a deux attitudes chez les distributeurs, sur le fond, tous réagissent de la même manière : ils optent pour une stratégie de contournement.




Tous droits réservés Carole CANTET, Catherine CHOSSAT, Boris COIMET, Laure ROBERT et Vincent TANDART, 1999
Dernière mise à jour le 07 mars 1999 19:30:50